Pour la pièce qui va suivre il me faut poser quelques marqueurs pour que chacun en comprenne l’intérêt. Alors ici je décris les grandes lignes, le mouvement Jeunes-Turcs, par sa nature fondatrice de l’identité Turc, fait l’objet d’études à profusion et constamment enrichies.

Le mouvement Jeunes-Turcs naît à Istamboul en 1889 sous forme d’une association et se constitue de jeunes officiers cultivés et éduqués à l’Occidentale. On peut faire un parallèle avec le fonctionnement de la Franc Maçonnerie, des rites de passage inspirés par celle-ci sont de mises. Ce mouvement est vu du bon œil par beaucoup de gradés mais aussi par des hauts fonctionnaires, tout comme par des théologiens.

Cette société représente une identité Turque qui va s’affirmer de plus en plus fortement par opposition au déclin de l’Empire. En 1902 un congrès à Paris voit la naissance d’une entité similaire pour les expatriés. Ces deux mouvements fusionnent en 1907 à Salonique pour créer l’entité politique CUP : Comité Union et Progrès.

Photo du congrès de 1902 à Paris.

Un journal nommé Bahçe est publié sous forme de pamphlet (un périodique agrafé) dans la ville de Salonique (Selanik en Turc). Baçhe signifie littéralement « jardin », aujourd’hui les Turcs utilisent ce mot exclusivement pour son sens premier. Ici un sens second serait approprié à la traduction comme un terreau pour les idées, un jardin d’idées.

L’exemplaire que je vous propose ici a été plié en deux et expédié par voie postale (classiquement une bande à journaux devait le fermer). Manifestement le timbre était à cheval et fût détruit à l’ouverture. Cependant nous avons le cachet d’expédition bi-lingue Salonique utilisé à partir de 1901 en bureau de poste.

Cette publication (qui semble porter le numéro 423) fait notamment mention en page 16 de Rıza Tevfik Bölükbaşı. Il s’agit d’un philosophe, diplômé de médecine et activiste du CUP dès 1907. Il deviendra député en 1908 puis ministre sous la seconde constitution (qu’on qualifie parfois de seconde ère ottomane).

Je n’ai pas de transcription des articles proposés dans ce journal. Malheureusement (même en ayant demandé à des Turcs) la langue est difficile d’accès car il s’agit de Turc Ottoman écrit dans une variation de l’alphabet Arabe. Cependant on sait que Rıza Tevfik est connu pour ses discours agressifs et son travail de propagande au profit du CUP.

L’histoire aimant l’ironie il sera chassé de Turquie à la chute de l’Empire Ottoman se réfugiant en Jordanie (en passant par Chypre, les USA ou encore Hejaz, la région de La Mecque et Médine) avant de pouvoir revenir à Istamboul suite à une amnistie en 1943, travaillant à l’université jusqu’à sa mort en 1949. Il laisse aujourd’hui un héritage intéressant et contradictoire puisqu’il a servi la cause du nationalisme naissant de la futur Turquie (théorisant ou matérialisant certains aspects) tout en étant, paradoxalement, parmi les 150 persona non grata jugées responsables de la chute. En tant que membre des Jeunes-Turcs et, homme de pouvoir, il lègue moralement l’héritage du génocide des Arméniens et des Grecs Pontiques.

Riza Tevfik en 1910